La chaîne du froid : un défi logistique indissociable de la diffusion du vaccin contre la COVID-19

Gérald Cavalier, Président du Conseil Scientifique et Technologique de l'Institut International du Froid, Président de l'Association Française du Froid et Président du groupe Cemafroid Tecnea, nous fait part de son point de vue sur le rôle central que la chaîne du froid continuera à jouer dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 et la course à la distribution de vaccin à l'échelle mondiale. 

Gérald Cavalier
Gérald Cavalier,
Président du CST de l'IIF

Quelle chaîne du froid pour la distribution du vaccin de la Covid-19 ? 

 

Depuis le début de l’année 2020 et de la pandémie de Covid-19 qui sévit dans le monde, le froid a été fortement mobilisé. Indispensable pour produire et distribuer l’oxygène dans les hôpitaux, pour climatiser les chambres des malades, pour conserver et distribuer les médicaments et la nourriture, mais aussi pour supporter l’augmentation des flux de données entrainée par le télétravail et le confinement. Avec l’annonce de l’arrivée des premiers vaccins, se pose la question de leur distribution et leur dispensation à des milliards de personnes dans le monde, dans des délais les plus courts possibles pour enrayer la pandémie. C’est là un défi logistique inédit à l’échelle mondiale mais un défi frigorifique tout aussi inédit. 

Ainsi, lorsque le laboratoire pharmaceutique Pfizer annonce le 9 novembre 2020 la demande imminente d’autorisation de mise sur le marché de son vaccin contre la Covid-19, en indiquant des températures de conservation de − 80 °C, la chaîne du froid, habituellement ignorée de tous, fait la une des journaux. Le monde redécouvre l’importance de la chaîne du froid et de ceux qui la font, et se pose de nombreuses questions. 

Depuis cent douze ans, l’Institut International du Froid (IIF) et ses experts scientifiques et techniques sont là pour y répondre en toute indépendance. Il convient premièrement de connaître les vrais besoins de ces nouveaux vaccins et de leur logistique, il faut ensuite analyser les solutions disponibles et les acteurs prêts pour les mettre en œuvre, enfin nous pouvons imaginer ce que pourraient être les solutions pour mettre en place efficacement, dans des délais très courts, une logistique sous température dirigée adaptée et efficace pour déployer rapidement une campagne de vaccination mondiale massive contre la Covid-19. 

 

Quels seront les besoins en chaîne du froid des vaccins de la Covid-19 ? 

 

De nombreux produits de santé sont thermosensibles. Leurs propriétés peuvent être altérées par des excursions de température hors d’une plage de conservation définie. C’est en particulier le cas des vaccins. La plupart des plus de 4,5 milliards de doses de vaccins administrées chaque année dans le monde doivent être conservées entre + 2 °C et + 8 °C. Du laboratoire au patient, ils sont stockés, transportés, distribués sous température dirigée. Les excursions de température vers le bas entraînent généralement une perte immédiate et irréversible de la totalité de l’efficacité du vaccin : il ne faut jamais les congeler ! À l’opposé, les excursions de température vers le haut entraînent des pertes progressives, cumulatives et irréversibles de l’efficacité du vaccin. La plupart des médicaments thermosensibles sont conservés entre + 2 °C et + 8 °C ou entre + 15 °C et + 25 °C, mais certains produits de santé doivent être conservés à des températures plus basses au-dessous de −20 °C, voire au-dessous de − 70 °C. C’est par exemple le cas du plasma congelé pour des conservations de très longue durée. Certains médicaments ont également des températures de stockage et de distribution différentes, par exemple un stockage à + 2 °C/+ 8 °C et une distribution à température ambiante pendant une durée limitée à quelques jours ou semaines. En 2018, 8 des 10 médicaments les plus vendus dans le monde étaient soumis à des contraintes de températures. 

Les récentes annonces des laboratoires pharmaceutiques concernant les candidats vaccins de la Covid-19 peuvent donc surprendre. Le laboratoire Pfizer annonce des températures de conservation de − 80 °C et le laboratoire Moderna des températures de − 20 °C. Nous sommes clairement loin des températures et de la logistique habituelles de ce type de produits, même s’il existe depuis peu un vaccin contre Ebola transporté dans la carboglace au-dessous de − 70 °C. Cela peut s’expliquer par les méthodes d’obtention de ces vaccins utilisant des biotechnologies comme l’ARN messager, ou par des délais de mise sur le marché très courts ne permettant pas de réaliser toutes les études de stabilité en température. Les candidats vaccins de Sanofi et GSK, développés suivant les mêmes méthodes que celui de la grippe saisonnière, se satisferont sans doute, eux, des solutions logistiques habituelles pour les vaccins de + 2 °C/+ 8 °C.  

À ce jour, les données communiquées ne permettent pas de savoir quels seront les réels besoins en température, du laboratoire au patient, de tous ces nouveaux vaccins de la Covid-19. Pour mettre en place les solutions adaptées aux besoins, il faut bien connaitre celui-ci. Cela n’empêche pas d’explorer d’ores et déjà les possibles solutions. 

 

Quelles solutions pour la distribution du vaccin de la Covid-19 ? 

 

Inventée en 1876 par Charles Tellier, la chaîne du froid est aujourd’hui maîtrisée, ou du moins maîtrisable et les professionnels du froid ont développé des solutions adaptées à tous types de produits et de températures, tant dans la santé que dans l’alimentaire. Néanmoins, le niveau d’équipement de la chaîne du froid reste encore très hétérogène à l’échelle mondiale, avec un écart d’un à dix entre pays développés et en développement, tant pour le stockage que pour le transport ou la distribution, tout au long de la chaîne. 

Du laboratoire au patient, les solutions sont largement déployées pour une chaîne du froid des produits de santé dans la gamme classique de + 2 °C/+ 8 °C. Il existe également une logistique du < − 20 °C, et plus récemment s’est développée une chaîne du froid du + 15 °C/+ 25 °C. Elles sont utilisées au quotidien par des dizaines de spécialistes de la chaîne du froid tels que les logisticiens, transporteurs, entreposeurs, distributeurs, mais elles ne sont malheureusement pas encore déployées partout. Pour les gammes de températures < − 70 °C, si elles existent, les solutions restent encore plus confidentielles. 

Des réglementations, des normes et des labels ont été développés depuis 70 ans à l’échelle régionale, nationale ou mondiale, pour garantir la qualité de cette chaîne du froid. L’IIF y a pris part activement depuis sa création en 1908, partenaire des Nations Unies depuis 1970 pour la mise en place de l’accord sur le transport des denrées périssables, dit accord ATP, mais aussi de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui déploie son programme qualité sécurité (PQS) pour la chaîne du froid des vaccins. L’IIF a aussi soutenu les journées internationales froid-santé de l’Association Française du Froid (AFF) depuis 2008 et co-publié le guide de bonnes pratiques de la chaîne du froid des produits de santé. 

 

Quelles perspectives pour la logistique sous température dirigée du vaccin de la Covid-19 ? 

 

Si la chaîne du froid des produits de santé, et plus particulièrement celle des vaccins, est opérationnelle pour livrer quasiment partout dans le monde des vaccins à + 2 °C/+ 8 °C, elle ne l’est pas forcément pour des campagnes de vaccination à grande échelle avec des produits à conserver < − 20 °C et a fortiori < − 80 °C. Le défi est inédit, la bataille n’est pas perdue pour autant !  

Pour les produits < − 20 °C, les solutions existantes et largement utilisées pour les produits surgelés sont rapidement duplicables à la chaîne du froid des vaccins. Elles sont connues, maîtrisées, disponibles et déjà certifiées pour certaines. 

Pour les produits < − 80 °C, la situation est plus complexe, mais pas désespérée. S’il n’existe pas aujourd’hui des capacités importantes de stockage et de transport de produits thermosensibles au-dessous de − 80 °C, il existe des solutions techniques. Pour l’entreposage, les machines frigorifiques à cycle ouvert à air utilisées pour la réfrigération des entrepôts de thon à − 60 °C par exemple sont aussi utilisables à − 80 °C. Elles peuvent aussi être utilisées pour les chambres froides de distribution. Pour le transport, les groupes cryogéniques de transport à azote utilisés à − 20 °C peuvent aussi descendre jusqu’à − 80 °C avec des caisses à isolation renforcée. Si l’on parle de températures voisines de − 80 °C, comme c’est souvent le cas pour les produits de santé, alors la glace carbonique a toute sa place dans le transport et en particulier les emballages isothermes et les conteneurs, tant pour le transport aérien que pour le transport terrestre en combinaison avec les camions frigorifiques. Il existe déjà également des armoires de conservation à − 80 °C, en particulier dans les hôpitaux et les laboratoires. Enfin il ne faut pas négliger la remise en température de ces produits avant injection : on ne passe pas innocemment de − 80 °C à + 20 °C. Mais lancer une campagne massive de vaccination avec des produits < − 80 °C demande la qualification de ces moyens, leur déploiement à grande échelle et la formation des utilisateurs de ces équipements ! 

 

Conclusion 

 

La logistique sous température dirigée de la vaccination mondiale massive contre la Covid-19 est un vrai défi, tant par son importance sans précédent que par sa spécificité technique annoncée par plusieurs laboratoires. Que ce soit à des températures < − 20 °C ou de < − 80 °C pour tout ou partie de la chaîne, il faudra mettre en place de nouveaux moyens avec des coûts sensiblement supérieurs à ceux habituellement connus dans la logistique du vaccin. C’est une affaire d’experts et de spécialistes. Il convient de disposer au plus vite des éléments les plus précis, en particulier concernant les besoins en températures. 

L’IIF et ses centaines d’experts dans le monde sont à la pointe de ces sujets et apporteront toute leur expertise scientifique et technique de la chaîne du froid des produits de santé aux acteurs publics et privés impliqués dans ces opérations : gouvernements, agences de santé, hôpitaux, laboratoires pharmaceutiques et plus largement les professionnels de la santé et de la logistique. Tous ces experts sont déjà au travail pour apporter des réponses concrètes et relever le défi de la vaccination mondiale massive de la Covid-19.