Prise de position de l’IIF dans la RIF : des denrées congelées à -18 °C ou à -15 °C ? Synthèse critique sur l’entreposage de denrées en dessous de zéro, sa qualité et sa réglementation
Alain Le-Bail, expert de l’IIF, a récemment publié avec d’autres chercheurs un article qui passe en revue les réglementations actuelles relatives à certains types d’entreposage à des températures inférieures à zéro et qui examine l’impact sur la qualité des denrées congelées du passage d’une température de stockage de -18 °C à -15 °C.
Vue d’ensemble des régimes non conventionnels de la chaîne du froid alimentaire en dessous de 0 °C
Les experts de l’IIF Alain Le-Bail, Cyril Toublanc, Michel Havet (tous trois membres de la commission C2) et le professeur Nasser Hamdami de l’institut Oniris de Nantes (France), ont publié un article de synthèse sur certains régimes non conventionnels de la chaîne du froid en dessous de 0 °C (réfrigération, superréfrigération ou superchilling, surfusion, raidissement au froid pour la découpe), ainsi que sur l’état actuel et les évolutions possibles des réglementations associées [2].
En ce qui concerne les régimes d’entreposage à des températures inférieures à zéro, les auteurs ont tiré les conclusions suivantes :
- La température de -18 °C est actuellement considérée comme la norme internationale pour les denrées congelées. Pourtant, le niveau de congélation de la plupart des aliments est généralement compris entre 95 et 98%.
- La réfrigération (entreposage entre 0 °C et la température du point de congélation initial TIFP) est une méthode agréée dans certains pays européens, comme la France, et est adoptée par plusieurs industries pour prolonger la durée de conservation des denrées non congelées. Ce type d’entreposage frigorifique nécessite des chambres froides spécifiques dotées d’un système de contrôle thermique renforcé. Il est utilisé principalement à un niveau industriel pour gagner quelques jours de durée de conservation (entreposage réfrigéré).
- La superréfrigération (ou superchilling, entreposage à quelques degrés en dessous de TIFP) a été adoptée par l’Union européenne en 2022 pour le transport du poisson uniquement. Les autres applications de la superréfrigération sont jusqu’à présent interdits dans l’UE. Il s’agit d’une avancée significative pour l’entreposage non conventionnel des denrées congelées.
- Le raidissement au froid du poisson pour la découpe mécanique est une technologie reconnue par la réglementation européenne et par le Codex Alimentarius de la FAO et de l’OMS (ou Codex), à condition que la température soit maintenue à environ -10 °C pour une durée maximale de 96 heures. Le code d’usage CXC 52-2003 autorise une plage de températures de -12 °C à -5 °C pour des périodes plus courtes. Cependant, les réglementations en matière de sécurité alimentaire indiquent que le poisson conservé à une température située entre TIFP et -10 °C ne doit pas l’être sur de longues périodes en raison des risques liés à la congélation partielle.
Impact de l’initiative « Three Degrees of Change » sur la durée de conservation des denrées congelées
En se basant sur des données existant dans la littérature, Le-Bail et al. ont également examiné les effets de la hausse de la température d’entreposage des denrées congelées de -18 °C à -15 °C, promue par l’initiative « Three Degrees of Change », sur la durée de conservation des produits.
Les auteurs ont tiré les conclusions suivantes :
- Le passage de -18 °C à -15 °C pour l’entreposage des denrées congelées devrait permettre de réduire la consommation d’énergie d’environ 10 %, selon Allouche et al. (2023) [3].
- Le passage de -18 °C à -15 °C pour l’entreposage des denrées congelées devrait diminuer d’environ 30 % la durée de conservation en lien avec l’altération de la qualité (perception hédonique), selon 18 études passées en revue par les auteurs. Allouche et al. ont notamment présenté une étude de cas concernant les épinards, montrant qu’à -15 °C, la teneur en vitamine C diminue et passe en dessous du seuil critique après trois mois de conservation (cf. figure 1).
- Le passage de -18 °C à -15 °C pour l’entreposage des denrées congelées pourrait rendre moins acceptables les fluctuations de température lors du stockage. Cela peut impliquer la mise en place de conditionnements plus épais, utilisant des matériaux à changement de phase par exemple, ce qui se traduirait par un plus faible taux d’occupation des denrées dans l’espace d’entreposage et une augmentation du poids du conditionnement. Un meilleur contrôle de l’oscillation de la température dans cet espace d’entreposage peut par ailleurs être envisagé.
- Le passage de -18 °C à -15 °C pour l’entreposage des denrées congelées peut entraîner un gaspillage alimentaire si les entreprises agroalimentaires réduisent la durée de conservation indiquée sur l’emballage et si les consommateurs jettent la denrée une fois la date limite de consommation dépassée.

Des mesures spécifiques peuvent être retenues pour atténuer ces risques. Une approche différenciée peut être envisagée, comme mentionné dans de précédentes publications, avec, par exemple :
- Produits peu sensibles : augmentation de 3 °C de la température d’entreposage avec une fluctuation ascendante de la température de 3 °C.
- Produits moyennement sensibles : augmentation de 3 °C de la température d’entreposage avec une fluctuation ascendante de la température de 1 °C.
- Produits très sensibles : les températures d’entreposage actuelles doivent être maintenues afin de préserver la qualité et la sûreté des produits.
- Le niveau de sensibilité pourrait être déterminé en fonction de la valeur de Q3 et de la durée de conservation à -18 °C, par exemple. Cette approche permettrait de réaliser des économies d’énergie tout en limitant les effets négatifs sur la qualité des produits et la sécurité alimentaire.
- La plage de température comprise entre -12 °C et -10 °C est considérée comme un seuil en dessous duquel le risque de croissance microbienne pendant l’entreposage reste négligeable. Il existe cependant des exceptions et il serait donc pertinent d’étudier l’évolution du risque de croissance microbienne lorsque la température est comprise entre -18 °C et -10 °C, notamment dans des contextes où des fluctuations thermiques sont autorisées pendant le transport (une variation de +3 °C est par exemple tolérée en Europe). Une analyse similaire pourrait être réalisée quant à la contamination en virus.
Pour en savoir plus, l’étude intégrale est disponible en accès libre dans la Revue Internationale du Froid, publiée par l’IIF.
Sources
[1] IIR. Recommendations for the Processing and Handling of Frozen Foods (2006) https://iifiir.org/en/fridoc/recommendations-for-the-processing-and-handling-of-frozen-foods-4097
[2] Le-Bail A., Hamdami N., Toublanc C., Havet M. (2025). An overview of selected “subzero” temperature storage regimes of foods: regulations and perspectives about the expected impact of the “three degrees of change” initiative on the shelf life of frozen foods. International Journal of Refrigeration 176, 336–344. https://doi.org/10.1016/j.ijrefrig.2025.04.009
[3] Allouche Y., Evans J., Sayin L., Falagán N., Hetterscheid B., Peters T. (2023). Three degrees of change: frozen food in a resilient and sustainable food system, Summary Report & Initial Findings, November 2023. https://iifiir.org/en/fridoc/three-degrees-of-change-frozen-food-in-a-resilient-and-sustainable-147847